Éditeur : Camion Blanc

Sortie : février 2015

628 pages

Steele

Si le hard rock a eu Lemmy Kilmister, le gothic metal, lui, a aussi eu comme ambassadeur un géant. Par la taille évidemment (2,07 mètres des pieds à la tête), mais surtout par le talent et le charisme. Peter Steele, en véritable Nephilim du Nouveau Monde qu’il était, aura ainsi pendant plus de vingt ans promené son imposante silhouette sur les scènes du monde entier et dévoré la concurrence qui tentait désespérément de lui faire ombrage. Mais ce que l’on sait moins, c’est qu’à l’image de nombreuses autres figures du monde du rock, cette glorieuse carrière s’est bâtie dans la douleur et fut longtemps ralentie par les nombreux atermoiements et hésitations du défunt leader de Type O Negative.

Ce groupe ne représente pas rien pour votre serviteur, puisqu’il fut entre 1993 et 2007 l’une des formations emblématiques de son style musical de prédilection, au point d’inspirer une partie du nom de son projet artistique*. C’est pourquoi, lorsque je découvris à la fin de l’été dernier, au détour du rayon de chez un disquaire, qu’une biographie récente avait été consacrée à ce formidable musicien et en plus publiée chez les Éditions Camion Blanc (principal éditeur, depuis 1992, de biographies musicales et stylistiques dédiées à la sphère rock et metal), je n’eus pas besoin de feuilleter plus de 3 ou 4 pages pour qu’une voix ne me crie aussitôt dans la tête : « Achète-le ! » Voici comment l’objet de ma première chronique littéraire pour le Blog Parallèle s’est retrouvé entre mes mains.

L’immense point fort de ce livre, outre le fait qu’il soit très bien écrit et parfaitement documenté (l’auteur est à la fois un journaliste et un proche de l’artiste), réside dans le fait qu’il n’est pas uniquement consacré à la partie musicale de la vie de Peter, mais qu’il permet surtout au lecteur d’en apprendre davantage sur le côté “humain” de celui-ci. Un angle d’attaque souvent négligé dans la plupart des biographies sur les rock-stars, se contentant la plupart du temps d’énumérer les différentes frasques commises au cours des tournées qui les menaient aux quatre coins du monde. L’authenticité en lieu et place du sensationnel : voici à quoi il faut s’attendre si l’on désire se plonger dans les affres de la vie du colosse de Brooklyn.

Peter Steele, de son véritable nom Petrus T. Ratajczyk, est né à New-York en 1962. Il est le benjamin d’une fratrie de six enfants, dont il est le seul garçon. Il justifiera d’ailleurs plus tard sa relation particulière avec les femmes et sa compréhension du sexe féminin dans le fait d’avoir longtemps vécu avec six femmes sous le même toit. À la maison ses parents et ses sœurs écoutaient beaucoup de musique, ce qui a rapidement favorisé l’éducation du jeune Peter dans ce domaine. Ainsi Elvis Presley, les Beatles et Black Sabbath resteront jusqu’à la fin de sa carrière ses plus grandes influences. À douze ans il commence à prendre des cours de guitare, instrument qu’il délaissera cependant rapidement (non sans toutefois savoir très bien en jouer) au profit de la basse qui deviendra son instrument de prédilection. Un quasi prolongement de lui-même. Dès l’adolescence le jeune homme montre très vite des qualités évidentes de musicien, de compositeur et aussi de leadership. À 17 ans il fonde son premier groupe : Fallout, qui acquiert rapidement une certaine notoriété dans les milieux scolaires où ils se produisent. Peter y joue de la basse, chante, compose la totalité de la musique. Il y fait déjà montre d’un charisme impressionnant malgré sa timidité maladive, qu’il combattra toute sa vie durant avec une consommation excessive de vin rouge et de drogue. Puis Fallout cèdera la place à Carnivore, groupe qui pratiquait un mélange entre le trash et le hardcore sur des textes inspirés de science-fiction apocalyptique. Bien que très jeune encore, le jeune “Lord Petrus” s’était déjà forgé un univers bien à lui, qu’il mettait en scène avec des tenues de scène viriles et qu’il décrivait dans des paroles extrêmement bien écrites, maniant l’art de la métaphore et du jeu de mots et qui contribuaient à créer sa propre identité. Sa propre patte artistique. Mais malgré ces atouts, Carnivore ne survivra pas non plus sur la durée et le troisième groupe que Peter montera sera le bon. Celui qui lui permettra d’asseoir, à la fois son rang et sa suprématie sur la scène metal des années 90.

Groupe emblématique du metal gothique, apôtre d’un décadentisme artistique souvent mal compris, Type O Negative cristallise non seulement les particularités d’un style musical mais également les expérimentations infinies d’une époque où les groupes de rock et de metal innovaient sans cesse. D’une part pour survivre à la déferlante grunge qui submergeait alors l’industrie du disque, mais aussi et surtout pour redonner un second souffle à un genre, le metal, qu’on proclamait comme “fini” dès la fin des années 80. Peter est, comme on pouvait s’y attendre, la figure de proue du vaisseau vert et noir. À la fois amiral et premier matelot, il écrit, compose, impose sa vision et la direction artistique, dont l’inspiration est entièrement liée aux évènements qu’il traverse dans la vie. Ses trois acolytes s’en accommodent parfaitement étant donné que Peter, en véritable poule aux œufs d’or, leur permet de réaliser leur rêve : à savoir vivre de leur musique et se produire dans le monde entier.

Les tournées justement… Un aspect de la vie du groupe qui fut longtemps source d’incompréhension pour les gens du label Roadrunner (qui avait signé le groupe), et même sujet à polémique au sein des membres mêmes de Type O Negative. La raison en était la suivante : Peter avait décroché un emploi au service des espaces verts de la ville de New-York. Un métier et une situation stable qu’il adorait et qui lui convenait parfaitement. Car non seulement Peter devait calquer les tournées sur ses périodes de congés, mais ce dernier gardait surtout en tête un horrible souvenir de la première tournée effectuée par le groupe en Europe en 1991, pour la promotion de l’album <Slow, deep and hard, où ils furent accusés d’appartenir à l’extrême-droite à cause de certaines paroles provocatrices écrites par Peter. Comme les trois autres membres de la formation n’avaient pas d’autre activité que la musique, ils étaient très impatients de sauter dans un avion pour aller jouer là où on leur dirait et ne comprenaient pas l’attitude de leur frontman. Croyez-vous en effet qu’il existe beaucoup de musiciens, même de nos jours qui, comme lui, hésiteraient longtemps entre la possibilité de vivre de leur passion et garder leur modeste emploi sécuritaire ? Peter était non seulement le seul à avoir un travail, mais était également l’unique compositeur du groupe. Raison qu’il invoquait pour justifier le besoin de tranquillité qui lui était nécessaire pour créer le futur de Type O Negative. Tout reposait entièrement sur ses épaules. Et là le livre nous montre justement bien que cela réjouissait autant le jeune homme que cela le terrifiait et le plongeait dans une angoisse névrotique. Cette situation dura de 1991 à 1993, jusqu’au succès planétaire de l’album Bloody Kisses. Là le label, exhibant devant Peter les chiffres astronomiques que les ventes du disque généraient, le força littéralement à quitter son job sécuritaire de fonctionnaire pour qu’il embrasse pleinement la vie de musicien itinérant. Peter dut s’y résoudre et démissionna. La chanson “Green Man”, qui figure sur l’album October Rust datant de 1996, est d’ailleurs un hommage à son passé d’employé des espaces verts. Ceci n’est qu’un exemple parmi toutes les raisons qui auraient pu empêcher l’essor de ce groupe, mais voilà en tous cas selon moi le véritable moment où débuta l’ascension fulgurante de Type O Negative, et en parallèle la longue descente aux enfers de Peter, parsemée de dépression, d’angoisses, d’excès, de regrets et d’aveux de faiblesse.

Il suffit d’écouter n’importe quel album de Type O Negative pour comprendre immédiatement les troubles et le mal-être qui animaient Peter, tant les ambiances lourdes et désespérées de ses chansons prennent aux tripes. Mélange subtil de noirceur et de second degré permanent.

Personnage torturé, doué, imprévisible et paradoxal, capable aussi bien de pondre des albums intemporels que de poser nu dans un célèbre magazine de charme, maniant aussi bien le charme que l’autodérision, Peter Steele (1962-2010) restera à jamais un personnage emblématique de la scène metal et méritait bien qu’un livre lui soit consacré. Grâce à la sincérité et à la plume de son ami Jeff Wagner, c’est maintenant chose faite.

Alors, vous qui lisez ces lignes, qui avez forcément entendu au moins une fois dans votre vie des titres intemporels comme “Christian Woman” ou “Black N°1”, qu’attendez-vous pour le lire ?

*Negative Ritual

Watchman